Des robots qui n’ont plus besoin d’être programmés – Sciences et Avenir

 Cet article est issu du Hors-série de Sciences et Avenir n°199 daté octobre-novembre 2019.

Hervé Bourlard est directeur de l’institut de recherche Idiap (Suisse), une fondation consacrée à l’intelligence artificielle.

Sciences et Avenir : Votre institut développe une IA au service de l’humain. Qu’entendez-vous par là ?

Hervé Bourlard : L’IA doit améliorer la vie et non asservir, comme c’est pourtant souvent le cas – regardez le rapport des gens à leur smartphone ! Nous travaillons par exemple sur l’amélioration des systèmes de vidéoconférence, afin de donner aux participants une meilleure sensation de contact humain. Ou sur le voice banking, une technologie formidable pour des patients qui doivent être opérés d’un cancer de la gorge, avec un risque pour leurs cordes vocales. Ces personnes enregistrent des phrases permettant de créer une voix synthétique afin que, après l’opération, elles retrouvent leur voix à travers ce système informatique. Cette application a un impact direct sur la qualité de vie !

En matière de robotique, à quel niveau d’autonomisation en sommes-nous ?

On par vient à créer des robots que l’on n’a plus besoin de programmer. On leur montre plusieurs fois comment accomplir une tâche et, pour autant que l’environnement soit contrôlé, ils arrivent à répéter ces mouvements. A l’Idiap, nous avons développé un robot destiné à aider les personnes handicapées à se nourrir, à s’habiller ; il tient votre veste pour que vous puissiez passer les bras dans les manches, par exemple. C’est compliqué, mais il y arrive ! Autre exemple – on est en Suisse : nous travaillons sur un « racleur », le premier robot de l’humanité à racler le fromage ! Ce n’est pas un humanoïde, juste un bras au-dessus d’une table, « entraîné » par un champion du monde de raclette.

Un ordinateur pourra-t-il bientôt, dans certains domaines, remplacer un humain ?

Les progrès sont constants… mais lents, contrairement à ce que l’emballement médiatique pourrait laisser croire. Alan Turing, premier scientifique à faire de l’IA dans les années 1940, l’a dit : « Recognitionis not understanding ». Reconnaître n’est pas comprendre. Aujourd’hui, la voiture autonome est quasiment capable de reconnaître tout ce qu’il y a autour d’elle : panneaux, obstacles… Mais pour qu’elle sache éviter une pierre sur la chaussée, je dois la programmer. Quelle taille critique dois-je choisir ? Je me renseigne auprès de différents conducteurs. Ils me répondent : « Faut voir, ça dépend, c’est à l’instinct. » Moi, l’instinct, je ne peux pas le programmer !… Alors, les véhicules autonomes, ce ne sera pas de mon vivant !

Parviendra-t-on à rendre l’IA capable d’expliquer ses choix ?

Les systèmes apprennent à partir de grosses bases de données. Résultat, ils ne savent pas expliquer comment ils arrivent à leurs conclusions. Depuis une dizaine d’années, on a fait assez de progrès pour revisiter ce qu’on faisait dans les années 1970 et 1980 avec les systèmes experts : essayer de construire des systèmes intelligents en introduisant des règles données par un humain, un médecin, un juriste, un ingénieur, etc. De grands scientifiques faisaient ce qu’on appelle de l’IA symbolique, sans résultats. Mais je crois que nous allons rapidement toucher aux limites de l’apprentissage automatique, et que le futur sera un alliage des deux…

 

 

Source: Des robots qui n’ont plus besoin d’être programmés – Sciences et Avenir